L’invention de l’analgésie péridurale

L’analgésie péridurale est une technique d’anesthésie loco-régionale utilisée notamment pendant l’accouchement. Elle permet une réduction des douleurs liées à l’accouchement, en injectant un anesthésique local dans l’espace péridural1 à l’aide d’un cathéter.

Utilisation d’anesthésiques en obstétrique

L’anesthésie est introduite pour la première fois en obstétrique en janvier 1847 par James Young Simpson, obstétricien écossais d’Édimbourg en utilisant l’éther pour un accouchement avec extraction fœtale difficile. L’éther est utilisé en appliquant une gaze imprégnée de ce dernier sur le visage des patients. Ce sont les vapeurs de l’éther qui provoquent l’endormissement. La première anesthésie à l’éther est réalisée en France le 26 décembre 1846. Il fut utilisé comme anesthésique général jusque dans les années 1930. Son utilisation fut arrêtée du fait de sa toxicité, des risques de dépendance et de nombreux effets secondaires.

A partir de l’été 1847, James Young Simpson essaie d’autres liquides vaporisables susceptibles de procurer une anesthésie au cours de l’accouchement. C’est en novembre 1847, au Royaume-Uni qu’il utilise le chloroforme en anesthésie obstétricale en appliquant un chiffon imbibé de quelques gouttes de chloroforme sur le visage d’une femme sur le point d’accoucher. Ses yeux roulèrent et l’enfant sortit. Cependant, en se réveillant, elle ne se souvenait pas d’avoir accouché. Les propriétés anesthésiques du chloroforme avaient été auparavant démontrées par le docteur Robert Mortimer Glover sur les animaux en 1842, mais celui-ci n’avait jamais été testé sur les humains. C’est au cours d’une expérience avec des amis que James Young Simpson le démontra. Il avait récupéré un échantillon de chloroforme auprès d’un pharmacien local et le soir du 4 novembre 1847, lui ainsi que ses deux assistants le Dr George Skene Keith et James Matthews Duncan ont inhalé le produit chimique. Ils ont pu constater qu’une ambiance de joie s’était installée, puis ils se sont tous endormis d’un seul coup et n’ont repris connaissance que le lendemain matin. Il avait donc démontré que le chloroforme pouvait être utilisé comme anesthésique. Après d’autres essais sur des membres de sa famille pour lesquels l’effet fut similaire, Simpson fait part de sa découverte dans une revue publiée en 1847.

On peut cependant noter que la découverte de Simpson fut liée au hasard. En effet, il aurait pu ne pas survivre à la dose qu’il a inhalé ce jour-là. Il suffisait qu’il en inhale un peu plus et ce dernier aurait pu mourir. Le chloroforme aurait alors été considéré comme une substance dangereuse, ce qui est le cas. Ou a contrario, s’il en avait inhalé un peu moins, il ne serait pas endormi.

Le chloroforme devient alors populaire auprès des médecins, car il s’agissait d’une substance efficace et peu chère. Cependant, des doutes subsistèrent auprès des patients, pour certains, le fait d’être endormi était plus effrayant que la douleur de l’opération. De nombreux doutes furent oubliés au moment où la reine Victoria, reine du Royaume-Uni et d’Irlande, utilisa le chloroforme comme anesthésique lors de l’accouchement de son huitième enfant en 1853. Ravie de son expérience, malgré les réticences de l’Église face à ce traitement, elle réitéra l’expérience en 1857. Cette méthode devient, par la suite, populaire en Angleterre et aux États-Unis, sous le nom d’accouchement « à la reine« . En France, les médecins sont beaucoup plus réticents notamment du fait des effets secondaires de la méthode (atonie utérine et hémorragie de la délivrance). Ils pratiquent donc peu l’analgésie obstétricale.

L’utilisation d’anesthésiques lors de l’accouchement transforme les pratiques. Les femmes enceintes deviennent de plus en plus dépendantes des médecins qui sont les seuls autorisés à pouvoir administrer ces substances. C’est le début de la médicalisation de l’accouchement.

Découverte de l’espace péridural

En 1885, le neurologue new-yorkais, James Leonard Corning découvre involontairement cette anesthésie locale en injectant 2 ml de cocaïne dans le dos d’un patient. Au bout de dix minutes, ce dernier sent sa jambe endormie. Selon Corning, le médicament agirait par le biais de vaisseaux situés autour de la moelle épinière. Plus tard, il effectue une expérience sur un chien qui ressemblerait à une rachianesthésie : délai d’action 5 minutes et durée d’action 2 heures. Ensuite, lorsqu’il effectue l’expérience sur l’humain, en injectant le médicament entre la 11e et la 12e vertèbre thoracique, il observe une insensibilité des membres inférieurs, de la région lombaire et du pénis suite à deux injections (la première n’ayant occasionné aucun effet).

En 1901, les docteurs Sicard et Cathelin, urologues français, développent l’analgésie péridurale dans certains actes chirurgicaux, mais celle-ci ne fait pas encore partie du domaine de l’obstétrique. Cette méthode fut oubliée pendant plusieurs années, car il a fallu attendre les années 1950 pour qu’elle soit utilisée en obstétrique et notamment dans les pays outre-Atlantique. C’est en 1972 qu’elle fait son apparition en France suite au congrès d’anesthésiologie organisé à Paris. Elle fut d’abord utilisée pour les césariennes à partir des années 1980 puis la technique s’est généralisée en 1994 grâce au remboursement à 100 % de celle-ci par la Sécurité sociale mis en place par Simone Veil.

L’analgésie péridurale aujourd’hui

Les techniques d’analgésie péridurale ont évolué, permettant aujourd’hui de soulager les douleurs liées aux contractions utérines sans faire disparaître les sensations de l’accouchement. Les solutions analgésiques sont moins concentrées permettant de diminuer la durée d’installation d’analgésie. Le mode PCEA (analgésie péridurale contrôlée par le patient) a aussi fait son apparition permettant ainsi une meilleure satisfaction des patientes.

Depuis la mise en place de l’analgésie péridurale dans les maternités françaises, son utilisation n’a cessé d’augmenter (82 % en 2021 contre 48 % en 1995, d’après l’enquête périnatale de 2021). Cependant, on assiste aujourd’hui à une utilisation plus fréquente de méthodes non-médicamenteuses pour gérer les douleurs des contractions utérines lors de l’accouchement (49.2 % en 2021 contre 35.5 % en 2016).

L’important étant de laisser le choix aux patientes de ce qu’elles souhaitent pour leur accouchement.

  1. espace entourant la dure-mère autour de la moelle épinière situé sous les vertèbres ↩︎

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