L’invention du forceps : un secret de famille

Le forceps est un instrument obstétrical utilisé lors de l’accouchement comme outil de préhension de la tête fœtale engagée dans le bassin sur laquelle nous effectuons une traction permettant son dégagement. Il est utilisé lorsque la descente du fœtus est arrêtée ou trop lente ou que le rythme cardiaque du fœtus présentent des anomalies par exemple.

Il est composé de deux pinces que l’on introduit l’une après l’autre dans le vagin puis le long de la tête fœtale dans l’utérus de façon à éviter les lésions de la tête et de la face du fœtus. Chaque pince ou branche est indépendante, mais elles peuvent s’articuler pour permettre la traction de la tête fœtale. Selon le type de forceps, lorsque les branches sont solidarisées l’une à l’autre, elles forment un forceps à branches croisées, comme les forceps de Tarnier ou un forceps à branches parallèles, comme c’est le cas des forceps de Suzor par exemple. L’utilisation de pinces pour extraire un fœtus est très ancienne, mais elle est jusque-là incompatible avec la survie du fœtus. Si l’emploi d’instruments métalliques est nécessaire, la mort du fœtus est alors inévitable.

Forceps de Tarnier
Forceps de Suzor
Forceps de Suzor

Le forceps obstétrical fut inventé par Peter Chamberlen (1560-1631), l’ainé. Ce dernier est issu d’une famille de chirurgiens : le père Guillaume et ses deux fils, prénommés tous les deux Pierre (anglicisés ensuite en Peter) originaires de Normandie, exerçant à Paris puis ayant émigré en Angleterre pour fuir les guerres de religion. Les deux frères sont devenus chirurgiens-accoucheurs. L’ainé devient accoucheur de la reine Henriette, épouse de Charles Ier, roi d’Angleterre et fille de Henri IV de France.

Peter III, neveu de Peter Chamberlen, l’ainé, lui succéda à la cour et fut le premier chirurgien-accoucheur à obtenir le titre de docteur en médecine. Ce succès vient de l’utilisation d’un instrument permettant l’extraction d’enfants vivants lors d’accouchements difficiles. Cet instrument fut gardé secret : transporté dans un coffre fermé, utilisé lors d’accouchements avec la seule présence des Chamberlen et de l’accouchée ayant les yeux bandés. De plus, les manœuvres sont effectuées sous des couvertures. L’instrument ressemblait d’une pince (en anglais forceps veut dire pince) dont les cuillers étaient courbées de façon à s’adapter à la courbure céphalique du fœtus. De plus, les deux branches étaient séparées permettant ainsi de les introduire l’une après l’autre puis de les articuler ensuite.

Le secret fut gardé pendant près d’un siècle. En 1670, le neveu de Peter, Hugh Chamberlen tenta de vendre l’instrument à Paris. Cependant la démonstration qui l’en fit devant François Mauriceau, chirurgien-accoucheur, responsable de la maternité de l’Hôtel-dieu ne convint pas, entrainant la mort de la mère et du fœtus. 
En 1813, quatre paires de forceps furent retrouvés dans une maison occupée par Hugh Chamberlen lors des dernières années de sa vie. Les forceps Chamberlen étaient des forceps fenêtrés avec des branches croisées.

Forceps de Chamberlen

« Le 19 août 1670, dit Mauriceau, j’ai vu une petite femme de 38 ans, qui avait le passage tellement étroit et les os qui le fermaient si serrés et proches l’un de l’autre et l’os du croupion si recourbé en dedans, qu’il me fut impossible d’y introduire une main pour l’accoucher. […] Il survint aussitôt un médecin anglais, nommé Chamberlen, qui était alors à Paris et qui, de père en fils, faisait une profession ordinaire des accouchements en Angleterre, dans la ville de Londres, où il a acquis depuis ce temps-là le suprême degré de réputation. Il était venu à Paris dans l’espérance d’y faire fortune, faisant courir le bruit qu’il avait un secret tout particulier pour les accouchements de cette nature. […] Ce médecin, voyant cette femme et ayant appris que je n’avais pas trouvé aucune possibilité de l’accoucher, témoigna être étonné de ce que je n’en avais pas pu venir à bout, moi, qu’il disait et assurait être le plus habile homme de cette profession qui fût à Paris ; nonobstant quoi, il promit d’abord de l’accoucher très assurément en moins d’un demi-quart d’heure, quelque difficulté qu’il pût y trouver. Il se mit aussitôt en besogne et au lieu d’un demi-quart d’heure, il travailla durant plus de trois heures entières sans discontinuer que pour reprendre haleine. Mais ayant épuisé inutilement toutes ses forces aussi bien que toute son industrie, et voyant que la pauvre femme était près d’expirer entre ses mains, il fut contraint d’y renoncer et d’avouer qu’il n’était pas possible d’en venir à bout. Cette pauvre femme mourut avec son enfant dans le ventre, vingt-quatre heures après les extrêmes violences qui lui avaient été faites. »

En trois siècles, plus de 700 types de forceps furent décrit : variant selon la matière (acier, bois, ) leurs formes, la dimension des cuillers, le fait qu’elles soient fenêtrées ou non ou encore la longueur des manches.

Parmi les plus connus, on peut énumérer plusieurs types chacun ayant apporté une amélioration. Tout d’abord, en 1747, le français André Levret, apporta la courbure pelvienne au forceps permettant ainsi à celui-ci de s’adapter aux courbes du bassin. Cette dernière fut ensuite reprise par l’anglais, William Smellie en 1751. Cette amélioration permit ainsi la préhension de tête fœtale située encore plus haute dans l’excavation pelvienne.

Forceps de type Levret

En 1877, le français, Stéphane Tarnier, ajouta un système de traction désaxé permettant d’effectuer des tractions dans l’axe de l’excavation pelvienne maternelle, le meilleur axe pour permettre la naissance tout en laissant une mobilité à la tête fœtale pour suivre les courbes du bassin.

Parmi les autres types de forceps connus, on peut noter les forceps de Pajot, un forceps court à branches croisées, mais sans système de traction ou encore les forceps de Demelin, à branches parallèles avec différentes longueurs de manches. Les forceps Suzor utilisés encore à l’heure actuelle, dérives du modèle n°8 de Demelin.

Forceps de Suzor

Aujourd’hui, l’utilisation de forceps peut être nécessaire lorsque la tête fœtale ne progresse plus et qu’elle est encore haute dans l’excavation pelvienne.

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